Un livre historique abusé par un nationaliste assyrien de Malines
Introduction
Le 27 février 2024, un nationaliste assyrien de Malines publie sur les réseaux sociaux un message dans lequel il annonce avoir écrit une lettre. Dans la lettre, il fait référence à un document joint. Dans ce document, du moins selon lui, le Vatican s’exprimerait sur l’origine des Assyro-Chaldéens modernes et soulignerait qu’ils sont les descendants des anciens Assyriens. Selon lui, c’est une position claire du Vatican.
Voilà pour les informations contextuelles qui nous ont incités à enquêter sur ce document. Nous effectuons pour ainsi dire une vérification des faits.
Un examen plus attentif du document en question révèle ce qui suit :
- Le texte original en italien a été délibérément mal traduit en anglais.
- Une phrase importante du texte n’est délibérément pas traduite.
- Le texte fait partie d’un livre de statistiques du Vatican et a été complètement sorti de son contexte.
Ci-dessous l’analyse :
Tout d’abord, il est important de savoir que l’auteur du texte original était un prêtre qui voulait retracer à grands traits l’histoire ecclésiastique de l’Église chaldéenne et n’avait aucune intention d’écrire quoi que ce soit sur l’appartenance ethnique des Chaldéens, encore moins de prendre position sur cette question au nom du Vatican. Il est également important que la phrase mal traduite ou incomplètement ne soit pas une déclaration de l’auteur.
Le texte en question n’a aucun caractère doctrinal, ne contient pas de déclaration historique sur une ethnie et ne constitue pas une position du Vatican.
Délibérément mal traduit
Ce qui saute aux yeux, c’est que le texte original italien (voir image 1) n’a pas été entièrement traduit correctement en anglais.
L’expression « almeno in parte » signifie « au moins en partie ». La traduction anglaise devrait être : « at least partly ». Cependant, il a été traduit par « last in part », ce qui reflète un tout autre sens, à savoir : « en partie le dernier ».
Il s’agissait d’une erreur de traduction délibérée, car l’accent était mis sur « last », qui s’appliquerait aux « derniers descendants ». Cependant, dans le texte italien, il n’y a aucune mention du mot « dernier ».
Cela semble être une petite différence, puisqu’il s’agit d’un seul mot, mais la différence entre la traduction incorrecte et la traduction correcte est immense quand on visualise le motif du traducteur, à savoir essayer de montrer qu’il s’agit d’un peuple qui est le dernier descendant des anciens Assyriens. et pas du moins en partie comme le suggère le texte.
Attention, cela ne dit rien sur la fiabilité de ces informations, mais montre déjà que le traducteur abuse délibérément le texte.
Texte italien original :
Oggi, si dànno volentieri a se stessi l’appellazione di « Assiro-Caldei », e davvero non si puo negare che siano almeno in parte i discendenti degli antichi Assiri, dei quali riproducono spesso il tipo etnico, ben conosciuto.
Texte mal traduit :
Today, the name they willingly give themselves is “Assyrio-Chaldeans”, and it really cannot be denied that they are last in part the descendants of the Ancient Assyrians.
Traduction française correcte :
Aujourd’hui, ils aiment s’appeler « Assyro-Chaldéens ». « , et on ne peut vraiment nier qu’ils sont au moins en partie les descendants des anciens Assyriens, dont ils reproduisent souvent le type ethnique bien connu.
Délibérément incomplètement traduit
Comme on peut le lire, dans la traduction anglaise un point est placé après « the ancient Assyrians », tandis que dans le texte italien il n’y a pas de point, mais une virgule suivie d’une phrase non sans importance. L’expression « dei quali riproducono spesso il tipo etnico, ben conosciuto » signifie « dont ils reproduisent souvent le type ethnique connu ».
Pour comprendre cette phrase, nous devons nous concentrer sur le verbe « reproduire ». Ce verbe peut avoir les significations suivantes : « imiter », « procréer » ou « se multiplier ».
Dans ce contexte, le sens « imiter » s’applique car il est suivi de «souvent le type ethnique bien connu»
Deux choses doivent être notées ici :
1) Un texte ne doit jamais être traduit de manière incomplète, car le contexte ne serait alors pas reflété correctement. On peut dire que l’on n’a traduit qu’une partie pertinente du texte, mais il s’agit d’une phrase qui n’a pas été entièrement traduite, ce qui rend de toute façon la traduction peu fiable.
2) Il faut se demander pourquoi la phrase complète n’est pas traduite. L’auteur du texte italien veut préciser que ceux qui voulaient alors s’appeler Assyro-Chaldéens imitaient souvent le type ethnique bien connu des « Assyriens », dans le sens où il n’existait plus, mais jouissait d’une certaine renommée historique et ils voulaient lui redonner vie. Comme vous le remarquerez, cette phrase omise donne une tournure complètement différente à l’histoire.
Sorti de son contexte
Nous parlons ici d’un livre statistique élaboré par la Congrégation pour les Églises orientales (voir image 2). Il s’agit d’un département (sorte de ministère) du Vatican qui a été fondé en 1917 et qui a depuis été remplacé par le Dicastère pour les Églises orientales.
Ce livre a été compilé par plusieurs personnes dans le but de recueillir des informations sur les différentes Églises orientales qui étaient alors unies à l’Église catholique romaine (voir image 3). L’Église chaldéenne a également été évoquée.
Cependant, ce livre n’a pas pour objectif de fournir des informations sur les différentes ethnies de ces communautés ecclésiales, ce n’est tout simplement pas le cas.
Par ailleurs, l’écrivain précise très clairement que ce n’est pas le Vatican qui donne le nom d’« Assyro-Chaldéens », mais « ceux qui veulent s’appeler ainsi aujourd’hui » et « ceux qui veulent reproduire le type ethnique connu ».
Comme les lecteurs le remarqueront en outre, il n’y a aucune autre mention des Assyro-Chaldéens dans ce livre, sauf dans la phrase pertinente, qui a été délibérément mal traduite et incomplètement traduite par le traducteur (Doc. 1). Le livre continue en parlant des statistiques des Églises orientales avec des notes historiques dans le contexte de leur histoire ecclésiale.
Bref, la phrase en question ne doit pas et ne peut pas être lue dans son intégralité comme une position du Vatican, ni comme une déclaration de son auteur.
Assyro-Chaldéens
Un autre fait important à prendre en compte ici est la période à laquelle ce livre a été publié, à savoir en 1932. L’idée d’un lien ethno-culturel avec l’ancien empire assyrien trouve ses origines au XIXe siècle, plus précisément après les fouilles archéologiques britanniques dans la région du nord de l’Irak (plus d’informations à ce sujet dans l’article le nationalisme assyrien). À partir du XXe siècle, cette idée a été utilisée pour promouvoir une région chrétienne assyrienne autonome en Irak. C’est pourquoi l’auteur de ce texte déclare aussi clairement : « Aujourd’hui, ils aiment s’appeler Assyro-Chaldéens ».
Nous pourrions discuter de ce que l’écrivain entend par « ils ». Par souci de clarté, nous pouvons dire qu’« ils » ne peuvent pas faire référence aux Chaldéens de l’Église catholique chaldéenne, car si tel était le cas, ils auraient simplement appelé ainsi le nom de leur Église, ce qui n’était pas le cas.
« Ils » font plutôt référence aux nationalistes assyriens qui travaillaient à l’époque pour une région chrétienne assyrienne autonome en Irak. Il s’agissait des chrétiens de l’Église d’Orient qui n’étaient pas devenus catholiques au cours des siècles précédents.
Pour renforcer cet objectif, les nationalistes recherchaient l’unité avec les Chaldéens catholiques. Dans ce but, le terme « Assyro-Chaldéens » avait été créé unilatéralement sous l’influence politique britannique et française. Ce terme servirait à désigner les Chaldéens catholiques et les soi-disant chrétiens « assyriens » non catholiques (à cette époque, il n’y avait même pas de mention de l’Église assyrienne).
Ce que l’on oublie souvent, c’est que les chrétiens non catholiques, qui depuis lors ont commencé à s’appeler Assyriens, se sont également identifiés comme Chaldéens jusqu’au XXe siècle.
Aujourd’hui, le terme Assyro-Chaldéens n’est pas destiné à créer une unité, mais plutôt à indiquer clairement qu’Assyro représente l’ethnie assyrienne et les Chaldéens l’Église chaldéenne. On peut dire ici qu’ils en ont fait un contradictio in terminis (du latin « contradiction dans les termes »).
Pour être clair, le traducteur avait également l’intention de relier le terme Assyro-Chaldéens aux anciens Assyriens au moyen de ce texte de propagande délibérément mal et incomplètement traduit.
Origine du nom Église Chaldéenne
Le texte nous donne également des informations précieuses sur la façon dont le nom d’Église chaldéenne est né. Il est clairement indiqué que cela était basé sur leur langue parlée qui s’appelait le chaldéen. Sur cette base, le terme Chaldéens a également été utilisé pour distinguer ces chrétiens orientaux. Au contraire, un élément de preuve historique qui, selon les nationalistes assyriens, jouerait en leur faveur est la confirmation que le terme chaldéen n’a pas été réinventé par Rome.
Nationalisme assyrien
Le nationalisme assyrien, qui trouve ses racines entre la Première et la Seconde Guerre mondiale, a clairement atteint son apogée au XXIe siècle. En l’absence de sources historiques fiables pouvant éventuellement servir d’arguments, les sources historiques sont ainsi exploitées à des fins de propagande.